MidiCom : “L’information au service de l’intelligence stratégique de l’entreprise”
Interview de Pierre-yves Debliquy
«L’information en elle-même, n’a pas de valeur. On la valorise en fonction de sa capacité à apporter des éléments de réponse à des questions, d’aider à la prise de décisions », Pierre-yves Debliquy.
Le 18 juin dernier, Pierre-yves Debliquy, expert en intelligence stratégique, détaillait, à l’occasion d’un Midicom, l’importance de l’information dans le processus décisionnel de l’entreprise. Il était intéressant de revenir avec lui sur ce qu’est l’information, comment y faire face dans le flot quotidien mais aussi pourquoi une information mal utilisée peut être un danger pour l’entreprise.
Qu’est-ce qu’une information? Quel est son intérêt stratégique pour une organisation?
A défaut de consensus sur la définition que l’on donne à l’information, toute discussion impliquant ce concept risque de tourner rapidement au quiproquo voire à l’incompréhension. Il est vrai qu’entre la définition de Shannon, qui réduit l’information à un signal échangé entre un émetteur et un récepteur, et l’acception communément admise pour le terme « news », on frise le grand-écart. C’est la raison pour laquelle, dans le contexte qui nous intéresse ici, j’ai choisi une des acceptions proposées par le Larousse: Fait porté à la connaissance d’un public. En conséquence, puisque les faits sont généralement avérés, les informations que je traite sont vraies. Par contre, il faut alors trouver d’autres noms pour tout ce que l’on étiquette « news » mais qui n’est pas « fait ». Dans ce cas, on pourrait parler d’affirmation, de mensonge, d’interprétation, d’analyse, de blague, de bobart… Sans toutefois oublier que des informations/faits peuvent-être rattachés à ces « news ». Par exemple, le fait basé sur des méta-informations qui acte que l’auteur, à une certaine date, a fait/dit quelque chose.
Rappelons aussi que, en elle-même, l’information n’a pas de valeur. On la valorise en fonction de sa capacité à apporter des éléments de réponse à des questions, d’aider à la prise de décisions. L’information sera stratégique selon que la question ou la décision sont stratégiques.
Dans le flot d’informations dont nous sommes abreuvés, existe-t-il des clés pour définir la pertinence ou la fiabilité d’une information?
Nombreux sont ceux qui se plaignent d’infobésité, cet état de paralysie dans lequel nous plonge un trop plein d’informations (au sens « news »). En fait, cet état est souvent symptomatique d’un déséquilibre fort entre le volume d’informations intéressantes que nous recevons et celui, nettement restreint, d’informations utiles. Les informations intéressantes sont celles qui répondent à une curiosité et qui permettent de briller en société, alors que les informations utiles sont celles qui permettent la prise de décisions.
La première discipline à avoir pour éviter le syndrome d’infobésité, la plus importante sans doute, est de réserver son attention et son énergie aux informations utiles et de se détourner au maximum des informations seulement intéressantes. Toutefois, cette posture suppose l’identification préalable des problèmes et des décisions que l’on souhaite traiter.
Bien sûr, tout le monde rêve de pouvoir identifier instantanément les informations (faits) qui rendent les décisions évidentes (sans risque). Malheureusement, de telles situations idylliques sont plutôt rares et la qualification d’une news passe le plus souvent par le fastidieux exercice de l’identification de la source et de la datation de l’information. Et dans bien des situations, il est préférable de ne pas trop attendre « l’information qui tue » et de plutôt interroger de temps en temps les informations connues et disponibles pour évaluer leur contribution à une réduction des risques liés aux décisions à prendre.
En tout état de cause, une excellente question à se poser est celle de l’impact que pourrait avoir, sur ses propres réputation et crédibilité, l’utilisation ou la diffusion d’une information qui pourrait se révéler fausse dans un avenir plus ou moins proche…
Un exemple d’information qui a été mal utilisée par une entreprise et qui a eu de graves conséquences soit pour elle, soit pour le public?
Les exemples d’informations bien ou mal utilisées, peu importe, ayant entraîné d’importantes conséquences sont assez rares. Un exemple caricatural pourrait en être l’adultère. La plupart du temps, ce sont des faisceaux d’informations, bien analysés et mis en perspective, qui font basculer des situations. Et dans ces cas-là, il n’est nul besoin de disposer d’une pléthore d’informations et encore moins de la totalité (concept au moins aussi inutile qu’inaccessible). Une bonne maîtrise de méthodes d’analyse fera souvent la différence.
En la matière, une bonne pratique est de raconter l’histoire qu’on imagine derrière les informations dont on dispose. L’intérêt de la démarche réside dans la verbalisation des liens et des articulations entre les idées et les informations, enrichis de l’expérience et des connaissances tacites des personnes participant à l’exercice. Par souci de performance, dans la mesure du possible, on veillera à mettre en scène cette histoire dans un cadre théorique éprouvé (par exemple, un canevas dérivé ou inspiré par le Business Model Canvas d’Alexander Oosterwalder et Yves Pigneur) qui aide à porter un regard exhaustif sur la question. Je me souviens d’un tel exercice mené avec l’équipe d’intelligence stratégique d’une grande entreprise industrielle wallonne. Malgré la crainte initiale de mes deux interlocutrices, pour qui les quatre malheureuses informations qu’elles pensaient détenir étaient bien insuffisantes pour espérer un résultat probant, au bout de deux heures de palabres, qui ont fait remonter à la surface de nombreuses informations tacites oubliées, leur perception de la stratégie d’un concurrent est passée de la mise en place d’une petite initiative de e-commerce dans le but de vendre des déchets sur leur marché local à une manœuvre de lobby à grande échelle auprès des instances européennes dans le but de faire changer la nature du déchet. Je vous laisse imaginer les différences de réaction des équipes de management face à ces deux conclusions.
Interview : Olivier Moch
Photo : Philippe Donneaux